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BONUS : rapports parlementaires sur le tourisme

Les rapports parlementaires sur le tourisme, à quoi ça sert ?

La presse vient de faire état d’un nouveau rapport parlementaire sur le tourisme. Son contenu ? On n’en sait rien. Cela n’intéresse plus personne. Ou bien, on l’a déjà oublié. Son sort ? Comme les précédents rapports, au mieux, au fond d’un placard de l’Assemblée nationale et d’un ministère. Au pire, comme allume-feu pour les prochains barbecues.

Regard sur un phénomène à la mode qui lasse et qui laisse les professionnels du tourisme sur leur faim.  

C’EST QUOI, UN RAPPORT PARLEMENTAIRE ?

Un rapport parlementaire est un travail d’étude produit par une commission ou un groupe de travail, constitué de parlementaires (députés ou sénateurs) présenté devant le Parlement par un ou des rapporteurs. « Un rapport parlementaire, au sens strict du terme, n’a pas valeur de loi et constitue un document de travail, qui doit normalement aboutir à une discussion en séance publique ou peut déboucher sur une proposition de loi » (Wikipedia).

Entre 2017 et mi-2019, il n’y a pas eu moins de 12 rapports parlementaires sur le tourisme, Assemblée nationale et Sénat confondus. C’est plus d’une trentaine depuis une dizaine d’années. Et, sans compter les missions d’études sur un thème touristique confiées à un ou des députés ou à des personnalités de la société civile par le Premier ministre ou un ministre. Ou encore les rapports produits par la CESE (Chambre économique, sociale et environnementale).

COMMENT SE PASSE LA MISSION D’ÉTUDE ?

La commission aidée par des fonctionnaires ou des assistants parlementaires prend en compte des publications sur le thème étudié et auditionne qui bon lui semble. Il s’agit dans la plupart des cas de représentants de syndicats professionnels, d’associations, d’organismes touristiques, de collectivités et d’experts. Il s’en suit un rapport qui reprend ou pas ce que les personnes auditionnées ont pu dire devant la commission ou les rapporteurs.

DES RAPPORTS PARLEMENTAIRES NEUTRES ?  

Si les membres des groupes de travail sont toujours des élus de tout bord politique, on se rend compte, sans peine, à la lecture des différents rapports parlementaires qu’ils sont presque toujours à charge et donc avec un contenu qui n’est pas impartial. C’est à dire que l’on voit clairement que leurs auteurs cherchent à démontrer un postulat de départ et vont réunir ce qu’il faut comme informations dans ce dessein. Et en écarter d’autres, qu’ils jugent contraires à ce qu’ils souhaitent trouver. Pourquoi de telles influences ? Est-ce pour satisfaire une idéologie, un parti pris ou encore est-ce juste le fruit d’une méconnaissance ?

D’ailleurs, bon nombre de professionnels interviewés par les commissions disent avoir sérieusement ressenti cette impression que tout est orienté depuis le début.

RAPPORTS PARLEMENTAIRES SUR LE TOURISME : COMPÉTENTS ?

Le moins que l’on puisse en dire est qu’ils le sont rarement. Déjà, sans exception, ils commencent par des contrevérités : « Avec XX millions de visiteurs étrangers (selon les années), la France demeure la première destination touristique au monde en nombre de touristes, mais pas en recettes, où nous sommes derrière l’Espagne, un concurrent direct. » Mais aussi, le surprenant : « les touristes ne dépensent pas assez en France. Il faut y remédier », sur la foi de données complètement incomprises.

Ou, « le tourisme représente 7 % du PIB national et plus de 2 millions d’emplois. » Ou encore, « (il faut) conforter cette première place, en portant le nombre d’arrivées touristiques à 100 millions de touristes internationaux à l’horizon 2020 et augmenter les recettes touristiques par visiteur étranger. »

Or, nous savons tous que les chiffres officiels sur le tourisme, sur lesquels s’égarent les parlementaires — nombre d’arrivées, recettes touristiques, PIB, nombre d’emplois — sont une pure invention, de la science-fiction. Une sorte de grand canular.

Eh oui ! Il n’existe pas de méthodologie complète pour cela. Personne ne sait identifier et compter combien la France reçoit de touristes étrangers (liberté de mouvements pour les Européens, entrées sans visa pour d’autres), ni combien de temps ils restent sur notre territoire, ni ce qu’ils dépensent — lire notre article sur le sujet. Ce qui fait qu’étayer des rapports parlementaires sur des constats faux et des données fantaisistes n’apporte aucun crédit au travail réalisé. C’est construire sur des sables mouvants.

Toujours les mêmes experts auditionnés, aux analyses inchangées

Ensuite, on s’aperçoit que ce sont quasiment toujours les mêmes experts et spécialistes qui sont auditionnés depuis des années par les groupes parlementaires et les mêmes publications qui servent de référence. Y compris celles qui sont les moins recommandables. Ce qui explique que l’on trouve toujours les mêmes contenus dans leur rapport, les mêmes orientations et les mêmes constats, année après année. Tout cela est cependant présenté comme des révélations, des nouveautés et une découverte. Ce qui est sûrement vrai pour les députés, dont la majorité n’entend rien à l’industrie touristique.

Parmi les personnes entendues, il y a rarement des désintéressés. Beaucoup ont quelque chose à défendre ou à gagner, qui concerne l’intérêt corporatiste jusqu’à celui plus privé. Enfin, parmi les « personnalités » consultées, on en connaît qui détiennent un grand professionnalisme et une expertise appréciablement reconnue. Et d’autres, autant pris en compte, sont (très) connus comme étant parfaitement incompétents dans le tourisme, voire incompétents tout court.

Pour le reste, pratiquement tous les rapports enfoncent des portes déjà largement ouvertes depuis longtemps, sur la nécessité de mieux accueillir les touristes, sur l’idée de l’excellence, sur la montée en gamme des hébergements et sur bien d’autres banalités que l’on entend en boucle depuis plus de 20 à 25 ans. Enfin, tous souffrent de très nombreuses affirmations contradictoires au fil des pages, en grande partie dues à la diversité des points de vue des personnes auditionnées.

Enfin, on retiendra entre autres cette phrase d’un rapporteur de la Commission des affaires étrangères qui a œuvré sur le thème de la promotion touristique de la France : « nous sommes d’accord que les taxes de séjours doivent augmenter, ce qui est acté. Il faudra à présent décider de ce qu’il sera fait de cette cagnotte ». Mettre la charrue avant les bœufs. Il fallait y penser. « Allez, messieurs les puissants. Prélevez donc des taxes ; il en restera toujours quelque chose », disait Voltaire…

DES TRAVAUX UTILES ?

Même avec un contenu vain et mal informé, c’est quand même la grande question qui couronne le tout. Est-ce que ces travaux parlementaires servent à quelque chose ou même à quelqu’un ?

En théorie, on pourrait croire que oui. C’est toujours bon de savoir que les Chambres parlementaires s’intéressent au tourisme. D’autant plus que les gouvernements ont été peu nombreux à le faire. Mais, de façon totalement empirique, on peut dire que non, ces rapports parlementaires sur le tourisme ne servent à rien, ni à personne. On n’y a jamais vu un début d’utilité, tant pour l’exécutif — qui s’assoie généralement dessus —, que pour les élus, qui passent très vite à autre chose.

Les pages emplies de yakafaucon montrent l’impuissance du système et de la chose publique envers le tourisme. Mais aussi, l’impéritie des élus dans le domaine touristique.

Les rapports des Chambres parlementaires sur le tourisme servent encore moins aux professionnels du tourisme et aux collectivités, qui y découvrent toujours les mêmes galimatias et les mêmes généralités pour lesquelles personne n’a jamais rien fait. Aussi intelligentes puissent être quelques (rares) suggestions ou recommandations remises dans ces dossiers, on ne les voit jamais aboutir concrètement à leur mise en œuvre.

À QUI CELA FAIT-IL PLAISIR ?

Au moins aux rapporteurs et au président des commissions qui pondent ces rapports sur le tourisme. Le temps qu’ils se voient mettre en lumière quand quelques journalistes reprennent sans sourciller leurs conclusions. Même chose lorsqu’un député s’est vu confier une étude sur un sujet par un ministre.

Sans oublier les personnalités auditionnées par les groupes de travail, qui s’avouent fatalement fières que des parlementaires leur aient accordé l’honneur de les auditionner. Et, ces experts — parfois d’un seul jour — ne se lassent pas d’en parler autour d’eux et sur les réseaux sociaux. De quoi flatter l’égo, c’est déjà ça. Cela fait quand même peu de monde, au final.


CONCLUSION ?

D’aucun diront que les rapports parlementaires sur le tourisme. « C’est juste du vent qui ne fait pas gonfler les voiles« , rappelle le patron d’un grand groupe hôtelier. Sur des fondements qui ne tiennent pas et avec des vœux pieux, usés jusqu’à la corde. Un avis sévère mais qui s’impose, depuis le temps. Il y a des publications bien plus intéressantes à lire.

Paru le 8 août 2019

Mark Watkins

Un spécialiste reconnu du tourisme d’affaires, de l’hôtellerie et du marketing touristique

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